Il n’avait que somnolé durant la nuit. La journée s’était écoulée beaucoup trop lentement à son goût, mais aussi beaucoup trop vite. Vivielle, la gracieuse servante de Valemont, lui avait proposé à boire, à manger, mais il était incapable d’avaler quoi que ce soit. Une terreur sourde lui nouait les entrailles tandis qu’il faisait les cent pas dans sa chambre. Et si tout se passait mal ? Si leur plan ne fonctionnait pas ? Médée viendrait-elle seulement ? Réussiraient-ils à la duper assez longtemps pour la conduire dans la cage ? Une fois-là, parviendrait-il à tenir sa promesse ?
Quand le soir vint enfin, il sentit son envie d’en découdre faiblir face à la terreur sourde qu’il éprouvait. Le montrer ? Jamais ! Ils avaient tout organisé, et tout se déroula exactement comme Valemont et son équipe l’avait préparé. Dans la cave, où l’attendait la cage qui devait la détenir, Tristan faisait les cent pas. À l’étage, il n’y eut pas d’éclats de voix, pas de hurlements, pas de bruit, ce qui laissait à penser que tout se déroulait à merveille à l’étage. Tristan attaquait les ongles de sa main gauche quand la porte s’ouvrit enfin.
Il se jeta sur le côté pour éviter d’être vu, mais il avait eu le temps de l’apercevoir. Cette beauté glacée, cette élégance… Elle était telle qu’il l’avait vue pour la dernière fois, quand il l’avait épiée à Ul’dah. Telle que lorsqu’il l’avait traquée à Port-aux-Vins. Et dans le Coerthas. Telle qu’elle était lorsqu’elle avait croisé sa route, un jour d’hiver, à Sharlayan. Il serra les poings. La terreur reflua ; la fureur l’envahit. Quand il entendit enfin la clé tourner dans la serrure, il sortit de sa retraite. Valemont n’hésita pas une seule seconde : saisissant Médée par le bras, il l’enferma dans la cage.
Mais elle avait de la ressource, beaucoup plus qu’ils ne l’imaginaient. Tristan connaissait sa fourberie, mais elle était encore bien plus retorse qu’il ne le pensait. La voir reprendre son numéro de victime lui donnait envie de hurler, de serrer ses mains autour de ce cou gracile, mais il ne le pouvait pas. Au-delà de sa fureur, quelque chose le retenait. Il avait promis de la faire souffrir. Il avait juré sur la tombe de sa femme et de son fils, il avait fait serment auprès de cet homme qui avait, lui aussi, tout perdu à cause d’elle. Je te prendrai tout… Pourtant l’homme qui l’accompagnait semblait être innocent. Quant à elle… Avait-elle été humaine, un jour ? Que restait-il ?
Tout avait changé dès que Nymelia avait rassemblé de l’éther. Médée y avait puisé comme dans une source, plongeant la jeune femme dans une illusion connue d’elle seule. Tour à tour, Valemont, Aetheline… Tristan lui-même, tous avaient subi les illusions de la créature. Ce dernier ignorait ce que ses compagnons avaient vu, mais pour son ami il le devinait sans peine. Valemont rêvait d’une famille… L’idée qu’elle puisse jouer avec leurs sentiments le rendait fou de rage. Elle leur donnait ce qu’il souhaitait, en absorbant leur éther au passage, tandis qu’ils s’abandonnaient à ces rêves tant désirés. Mais Médée était incapable de les attaquer. Elle ne possédait aucun pouvoir susceptible de les blesser physiquement : seule sa capacité à les manipuler et à absorber leur éther les mettait en danger – en réel danger, puisqu’elle réussit même à obliger Valemont à ouvrir la porte de sa cellule.
Ils parvinrent cependant à dépasser leurs illusions, et quand Médée, acculée, fut à nouveau repoussée dans sa cage, Tristan sut que l’heure était venue. Nymelia lui intimait de mettre fin à tout cela. Il s’y était préparé. Pourtant, sa main tremblait lorsqu’il tira le poignard qu’il avait dissimulé dans sa botte. Il n’utiliserait pas de magie. Les autres sortirent ; il ne prêta pas attention aux protestations d’Aetheline. Il tenait sa vengeance. Médée suppliait, pleurait. La comédie ne l’émut pas. Avait-elle eu pitié de tous les enfants, toutes les femmes qu’elle avait poussés à la mort ? Avait-elle eu pitié de tous ces maris, ces pères, qui avaient vus leur vie brisée à cause de sa folie ?
Les hurlements de Médée, pourtant, ne lui apportèrent pas la moindre satisfaction. Faire couler son sang et lui arracher ces cris ne l’apaisaient pas. Il avait cru qu’il en tirerait une jouissance surpassant toute sa douleur ; il n’en fut rien. Quand les pleurs de la créature se changèrent en sarcasmes, quand elle évoqua avec quel plaisir elle avait poussé Isabeline à tuer son fils, Tristan crut devenir fou à son tour. Il se souvint de toutes les tortures qu’il avait imaginées. Tant pis s’il y perdait son âme : elle souffrirait.
Mais Valemont prouva – s’il en était encore besoin – à quel point son amitié était précieuse. D’un seul coup de lance, il mit fin à la fois aux tourments de Médée et à ceux de Tristan. La créature s’effondra. Tristan aussi.
Et à présent ?
Il se sentait vide. Durant trois ans, il avait poursuivi cette chose, rêvant de la vengeance qu’il avait finalement été incapable d’accomplir. Que lui restait-il, désormais ? Il n’avait plus de but, plus de rêves, plus de désir. Où irait-il ? Que ferait-il ? Valemont lui avait offert l’hospitalité, et Tristan restait prostré, inerte, sans pouvoir décider. Les lames de son tarot reposaient sur la table de chevet, mais il ne pouvait les consulter. Le poids sur ses épaules ne s’était pas allégé.
Il fallut une visite pour que tout change, d’une personne qui n’avait pas pris part à tout ça, mais qui savait mieux que quiconque tout ce qu’il avait éprouvé ces dernières années. Il lui avait envoyé une lettre pour lui faire part de sa victoire sur Médée. Juste quelques mots après trois années de silence. Elle avait traversé le continent pour le retrouver. Et quand il s’effondra dans les bras de sa sœur, les mots qu’elle prononça, pourtant pas si différents de ceux que son meilleur ami avait soufflés à son oreille, résonnèrent d’une façon tout à fait spéciale.
« C’est terminé. Tu as réussi ! »